Posted on

Les perles de verre de l’âge du fer et de la période gallo-romaine, synthèse et expérimentations

Voici une mise a jour d’un article que j’ai rédigé en juin 2013. Il a été publié par le magazine  “Histoire vivante”. Cet article est une bonne introduction à la question, je le publie ici avec quelques mises à jours et de plus nombreuses photos.

Iron Age and gallo-roman glass beads, experiments

Lot of glass bead have been found on iron age and gallo-roman sites in France. Imported beads, and also beads made in Gaule. Few workshops has been found yet. Here are some experiments to understant how this glass beads were down.

Les perles de verre de l’âge du fer et de la période gallo-romaine en France, synthèses et expérimentations

De nombreuses perles de verre ont été retrouvées sur les site de l’âge du fer et les nécropoles gallo-romaines ; des perles parfois importées mais souvent fabriquées en Gaule. Pour autant, peu d’ateliers ont été fouillés. Des expérimentations et l’examen du matériel retrouvé peut permettre de comprendre comment ces perles de verre étaient fabriquées

Le premier âge du fer, des perles importées

Les perles retrouvées en Europe celtique au premier âge du fer sont pour la plupart importées des grands centres verriers que sont l’Égypte, le Syrie et la Palestine. C’est là que se développe à grande échelle la production durant l’âge du bronze et le premier âge du fer. Dans ces zones, la production de verre est facilitée par la présence sur place de matières premières.

Pour fabriquer du verre, il faut un agent vitrifiant (la silice), un fondant (la potasse ou la soude) et un stabilisant (la chaux ou le calcaire). Dans ces régions, la soude est disponible sous forme de natron que l’on trouve au bord de certains lacs, et les sables contiennent à la fois de la silice et du calcaire : l’environnement idéal pour l’essor d’une industrie du verre.

On y produit  des perles et différents objets de verre sur noyau (coupes, amphorettes…). Ces objets connaissent une importante diffusion autour de la méditerranée. Si bien que, durant le premier âge du fer, les perles retrouvées sont essentiellement importées. De très belles perles phéniciennes à visages ou à ocelles sont ainsi retrouvées sur plusieurs sites Français.

Les ateliers du second âge du fer

Ce n’est qu’au second âge du fer, que l’Europe connait une production locale importante de pièces de verre

Les ateliers fouillés, en revanche, sont beaucoup plus rares, des indices laissent penser qu’ils pouvaient exister sur les site du second âge du fer :

– Sur l’oppidum d’Entremont (Aix-en-Provence), la présence de nombreuses perles dans un dépotoir peuvent indiquer l’existence d’un lieu de production.

– Sur l’oppidum de Manching, la présence de verre brut et de nombreux bracelets et perles indiquerait une production locale

– A Bibracte, la présence d’un certains nombre de perles ratées, indiquerait la possibilité d’un atelier sur place

– Plus au sud, en Corse,  à proximité d’une mine d’antimoine (colorant blanc), des perles blanches en grande quantité ont été retrouvées, y compris des perles ratées, indice d’une production sur place. Ces perles blanche sont déposées dans plusieurs sépultures de l’île à cette époque.

Perles de verre conservées au musée de Sartène, découvertes en Corse à proximité d’une mine d’antimoine (colorant blanc), premier âge du fer.

– Toujours en Corse, dans plusieurs grottes du golfe d’Ajaccio, à proximité de l’épave des Sanguinaire A (IIIe s. av. JC) , qui contenait un chargement de verre, des perles bleues, produites localement, ont été mises au jour. Selon H. Alfonsi qui a fouillé l’épave, ces perles auraient été fabriquées avec le même verre que les blocs contenus dans les cales du navire.

Des épaves, comme celles des sanguinaires attestent du commerce du verre brut et coloré entre les deux rives de la Méditerranée. Le verre n’est donc pas fabriqué en Gaule, dans la plupart des cas, mais importé et de loin pour être travaillé, et parfois teint, dans des ateliers secondaires.

Morceaux de verre bleu d’origine syro-palestinienne, épave sanguinaire A, IIIe s av. JC (musée de Sartène)

Un atelier de la fin de l’âge du fer en Scandinavie

Pour disposer de la fouille d’un atelier complet, il faut s’intéresser à la fin l’âge du fer en Scandinavie. L’atelier de perles de verre de Ribe au Danemark, daté des 7e et 8e s après J.-C., nous renseigne sur ce qu’a pu être un atelier de perlier.

À côté de structures de chauffe où ont été retrouvés des restes de charbons et de verre, de nombreux blocs de verre bleu, transparent ou coloré, des perles ratées et des décors de verre ont été mis au jour. D’après Torben Sode, l’archéologue qui a fouillé ce site, les structures d’élaboration des perles étaient des foyers ou des fours de torchis alimentés au charbon et attisés par des doubles soufflets, des structures assez proches de ce qui était alors utilisé pour la bijouterie (bronze, or, ou argent) ou la forge. Des expérimentations ont permis à Torben Sorde et aux chercheurs du centre d’archéologie expérimentale de Ribe de proposer une restitution d’atelier avec un petit four en torchis à dôme qui permet de meilleures conditions de travail que le foyer ouvert ou le four tubulaire.

Nos propres expériences (feu ouvert, four tubulaire et four à dôme) nous ont amenés à faire le même choix.

Des outils de perliers ont également été retrouvés au Danemark : une petite pelle (pour le charbon ? Ou pour préchauffer le verre ?) et un mandrin avec un morceau de verre qui y est resté collé.

C’est à partir de ces recherches que nous avons élaboré notre hypothèse d’atelier de perles de verre pour l’âge du fer. Cette structure très simple permet à l’artisan d’être itinérant. Les outils essentiels, mandrins, verre et pot de recuit, tiennent dans un sac. Le four peut être construit en quelques heures avec de l’argile, du sable et de la paille qu’on trouve assez communément.

Restitution d’un atelier de perlier de l’âge du fer


Ce four nous à permis de réaliser un certain nombre des parures de verre retrouvées en Gaule à l’âge du fer et à la période gallo-romaine : perles à ocelles, à vaguelettes, à chevrons, bracelets de verre, pions.

Reproduction de perles de verre âge du fer, ocelles beads from iron age

La chaîne opératoire

Le four est rempli de charbon, les soufflets sont activés. En 30 minutes, la température atteint 1000 degrés. Des fragments de verre brut sont mis à chauffer devant un des ouvreaux. Un mandrin en fer chauffé au rouge permet de saisir le fragment de verre. Celui-ci est mis à chauffer dans le four. Quand le verre devient visqueux et commence à couler, il est enroulé sur un second mandrin pour former la perle.

 

 les soufflets sont activés, le mandrin sur lequel il reste un peu de verre est chauffé

 le morceau de verre a fondu sur le mandrin, il devient visqueux

 le verre est enroulé sur le second mandrin, la perle est formée

la perle est égalisée à la flamme

Les décors sont ensuite appliqués selon le même principe. Les décors des perles à ocelles sont réalisés couche par couche. Certains décors particuliers sont réalisés séparément, puis posés sur les perles encore chaudes.

élaboration d’une perle à ocelle
perle à sinusoïdes
préparation d’un décor étiré

Les perles les plus simples sont réalisées en une à trois minutes et le coup de main est facile à acquérir, les plus complexes le sont en une vingtaine de minutes et demandent un vrai coup de main qui ne s’acquiert qu’après plusieurs années de travail.

Les perles sont détachées du mandrin quand elles sont encore chaudes. Enfin, elles sont mises à recuire pendant plusieurs heures dans un pot au-dessus du four à 450 degrés.

Le mandrin peut être enduit d’un séparateur (argile, sel) pour faciliter le détachement des perles. En l’absence de séparateur, la perle doit être détachée à chaud en produisant des vibrations sur le mandrin.

Les bracelets en verre

C’est lors d’une expérimentation de Stéphane Rivoal et Joël Clesse sur notre four que nous avons réalisé de premiers bracelets simples. Après avoir formé une grosse perle, des chocs sur le mandrin permettent d’agrandir le trou, puis d’écarter le verre avec un second mandrin pour donner sa forme au bracelet. Il est successivement travaillé à l’entrée du four et dans le four, puis mis à recuire dans un pot plus large que celui utilisé pour les perles. Des décors peuvent être rajoutés sur les bracelets : soit sur la perle avant étirage du verre, soit par la suite.

Un four à bois à deux chambres

Un four à charbon présente le désavantage de ne pas permettre la chauffe du verre en creuset ou sur la sole et sa coloration. Les creusets posés dans le four sont rapidement recouverts de cendre, ce qui rend le verre inutilisable.

Nous avons donc choisi de travailler sur une hypothèse de four à bois. Ce four semble adapté pour les périodes postérieures au premier siècle après J.-C. (gallo-romaine, mérovingienne). Il est possible que des fours de ce type aient également été utilisés à l’âge du fer mais aucun vestige n’a encore été mis au jour par les archéologues. Certaines perles de verre comme les très grosses perles de Corent à double décor spiralé, par exemple, ne peuvent être réalisées que dans un four de ce type. Il semble impossible de les réaliser dans un four/foyer à charbon où le verre est chauffé localement.

La chauffe du verre en creuset (ou sur une sole) demande un four de plus grande taille, tels que ceux utilisés par les souffleurs de verre dès le 1er siècle après J.-C. Plusieurs fours de ce type sont connus pour la période gallo-romaine. Il sont adaptés à la fabrication de vaisselle comme de perles de verre. Les observations ethnologiques montrent des aménagements de la chambre haute un peu différents pour la fabrication des perles.

Les fours gallo-romains mesurent 60 à 100 cm de diamètre intérieur et seule la chambre basse est conservée. Nous avons choisi d’en réaliser un de 90 cm. Nous nous sommes inspirés de l’iconographie disponible pour la période romaine ( une lampe à huile décorée) et avons réalisé des observations en Anatolie dans un village de perliers travaillant sur des fours en torchis.

Les fours utilisés par ces perliers mesurent environ 1,20 de diamètre intérieur. Ils sont composés d’une chambre basse pour la chauffe et d’une chambre haute ou le verre est posé à même la sole. Quatre à cinq ouvreaux permettent à plusieurs perliers d’y travailler ensemble. Ils consomment chaque jour 150 à 300 kg de bois. Le tirage des fours est suffisamment efficace pour ne pas avoir à recourir à des soufflets.

D’autres fours à perles de ce type, d’une taille plus ou moins importante, sont connus en Inde. Au Népal, des fours plus petits mais également alimentés au bois et sans soufflet permettent de fabriquer des bracelet à partir de morceaux de verre. En Mauritanie, des soufflets complètent la ventilation naturelle de fours tubulaires à une seule chambre où 4 à 5 perliers peuvent travailler ensemble.

Pour notre four, nous avons fait le choix de faire chauffer le verre à même la sole, à l’instar des perliers d’Anatolie et du même aménagement haut : des fours de recuit ont été placés à côté des ouvreaux.

Après quatre à cinq utilisations (correspondant à la période de cuisson du four), ce four monte en température en deux à trois heures. Il est facile d’y réaliser des perles simples. Les perles décorées y sont plus complexes à travailler que dans le petit four présenté précédemment, mais le travail y est aussi plus rapide.

Le travail du verre en creuset permet également de réaliser plus facilement un certain nombre de décors étirés ou des perles comme celles retrouvées à Corent.

 

Bibliographie et sites web


Torben Sode, glassbeadmaking technology, in M. Bencard, A. Kann Rasmussen & H. Brinch Madsen (eds): Ribe Excavations 1970-76 vol. 5, Højbjerg 2004

Ulla Lund Hansen; Ulf Näsman; Marianne Rasmussen ed, Glass beads : cultural history, technology, experiment and analogy : proceedings of the Nordic glass bead seminar 16.-18. October 1992 at the Historical-Archaeological Experimental Centre in Lejre, Denmark

Marie-Dominique Nenna, ed, La Route du verre. Ateliers primaires et secondaires du second millénaire av. J.-C. au Moyen Âge. Colloque organisé en 1989 par l’Association française pour l’Archéologie du Verre (AFAV). Lyon : Maison de l’Orient et de la Méditerranée Jean Pouilloux, 2000.

Feugère Michel. Le verre préromain en Gaule méridionale : acquis récents et questions ouvertes. In: Revue archéologique de Narbonnaise, Tome 25, 1992.

Fontaine Souen Deva, Foy Danièle. L’épave Ouest-Embiez 1, Var : le commerce maritime du verre brut et manufacturé en Méditerranée occidentale dans l’Antiquité. In: Revue archéologique de Narbonnaise, Tome 40, 2007.

Önder Küçükerman, Glass beads : Anatolian glass bead making, Turkish Touring and Automobile Association, Istambul, 1988.

Marc Gaboriau, bracelets et grosses perles de verre, fabrication et vente en Inde et au Népal, objets et mondes , XVII- 3, p 111-13O. 1977.

http://archeoglass.jimdo.com/ ; Joëlle ROLLAND, Yves LE BECHENNEC, Joël CLESSE, Stéphane RIVOAL, Des parures celtiques aux verriers du Népal : un projet d’expérimentation des techniques de fabrication des bracelets en verre., bull, AFAV 2012