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Les fours des perliers, de la protohistoire au haut moyen-âge

Par Florence Cerbaï

La construction d’un nouveau four à charbon, est l’occasion de faire le point ici, sur les recherches et les expérimentations portant sur les ateliers de perliers protohistoriques, antiques et alti-médiévaux. Les techniques de chauffe du verre, y sont présentées, des plus simples, aux plus complexes.

Un feu de bois attisé par un double soufflet

Il est possible de réaliser des perles de verre dans un feu de bois attisé par des soufflets. Le verre est chauffé localement et enroulé sur un mandrin. Le travail y est pénible en raison de la fumée et manque de précision. L’utilisation de charbon de bois améliore un peu le confort de travail.

Une installation de ce type ne laisse quasiment aucune trace archéologique en dehors de quelques perles ratées et matière première cassée ou oubliée. Les perles sont mises à recuire dans un pot sur le bord du foyer.

De tels ateliers ont pu exister à l’Âge du Bronze, à l’Âge du Fer ou au haut Moyen-Âge. Pour autant, l’intérêt de construire un four, même très simple doit rapidement apparaître à l’artisan : la réalisation de perles complexes est très difficile en foyer ouvert.

Un four à charbon alimenté par un double soufflet pour chauffer le verre localement

Ce four à charbon, inspiré des fouilles de Ribe au Danemark et du travail de reconstitution mené sur l’archéosite de Ribe, permet de chauffer le verre sur les flammes très chaudes des charbons, atisées par un double soufflet.

L’utilisation d’un double soufflet est obligatoire pour obtenir un flux d’air continu et maintenir la température (1000 ° environ) tout au long du travail.

Dans ce four, le verre ne peut être travaillé en creuset, car il se charge très vite en cendres. Le verre est donc réchauffé sur la margelle de l’ouvreau, puis présenté dans le four à l’aide d’une pince ou d’un ferret. Il est ensuite enroulé sur un mandrin enduit de sel ou d’argile, puis décollé à chaud, par vibration.

Ce four me semble être une hypothèse viable pour les ateliers de la Protohistoire et du haut Moyen-Âge. Il est rapide à construire et peut même être déplacé sur une charrette, il est simple d’utilisation, il monte rapidement en température : le travail y est possible 10 minute après l’allumage. Il consomme peu de charbon surtout si sa conception est optimisée (paroies épaisses, espace intérieur faible).

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Chaque nouveau four permet de tester une hypothèse. Celui-ci à une petite particularité par rapport à ceux que j’ai construits précédemment : l’espace intérieur très réduit est intégralement en courbes, y compris au niveau de la sole. Cela facilite la diffusion de l’air apporté par les soufflets. Il monte très rapidement en température, avec une faible consommation de charbon de bois. Il est utilisé ici avec une petite soufflerie électrique, au potentiel inférieur à mes doubles-soufflets en cuir.

 

Le recuit est réalisé dans un pot posé au dessus d’une petite cheminée qui maintient les perles à 500 degrés durant le travail du verre.

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La température y redescend relativement lentement à l’arrêt du travail, en raison de l’inertie du four.

Dans ce four, l’artisan travaille assez près de la perle pour être précis
Pour autant, le travail est long. Pour la réalisation de chaque perle, un morceau de verre est chauffé puis enroulée, avant que le verrier ne puisse poser son décor. Les perles à motifs d’enroulement, zig-zag, chevrons, ocelles simples se fabriquent bien dans ce four.

En revanche, la fabrication de perles spécifiques de l’Âge du Fer (perles à ocelles multiples et à guttules, à trois couleurs) y est complexe alors que ces perles ne demandent  pas une grande maîtrise technique, quand on chauffe très localement le verre.
L’existence de sites, où l’on a retrouvé spécifiquement ce modèle de perles, peut laisser penser que les artisans qui les fabriquaient auraient pu développer un four mieux adapté. Notre prochaine expérimentation traitera de cela.

Enfin, ce four à charbon ne permet pas la coloration du verre dans l’atelier. Un tel four suppose que le verre est fabriqué et coloré ailleurs.

Les fours à bois pour la fusion du verre

Durant l’Âge du Fer, l’Antiquité et le haut Moyen-Âge, le verre est généralement fabriqué dans des ateliers primaires au Proche Orient et revendu à des artisans qui le travaillent dans des ateliers secondaires. La présence de lingots de verre dans plusieurs épaves en Corse, dans le sud de la France ou en Croatie, sont la preuve d’un commerce transméditerranéen du verre. (Pline nous signale aussi des ateliers primaires en Italie ).

Au IVe siècle av JC, sur un site archéologique corse, on retrouve de très nombreuses perles teintées à l’antimoine. Ce site archéologique est situé juste à côté d’une mine d’antimoine. La présence de perles ratées, tend à indiquer que ces perles sont produites sur place.

Pour les fabriquer, les artisans corses ont besoin d’un four différent du four à charbon présenté plus haut ou du simple feu de bois. Il leur faut un four, qui permette de chauffer une assez grande quantité de verre et de la teinter.

L’observation des fours utilisés par les derniers verriers traditionnels d’Anatolie et les restes des fours des verriers antiques nous permet de proposer une hypothèse pour ce type d’atelier ; un four à deux chambres ( chauffe en bas, fusion en haut) + une ou plusieurs chambres de recuit.

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Ce four, inspiré des restes des fours de verriers antiques (Arles, Besançon, Lyon, Nîmes…) et des fours actuels des perliers d’Anatolie permet de chauffer le verre sur une sole devant l’ouvreau, dans la chambre de fusion. La chambre de chauffe, où l’on introduit le bois et la chambre de fusion sont séparées par un œil qui transmet la chaleur et les flammes sans transmettre trop de cendres. Le verre reste propre.

Ce four permet de chauffer et teinter du verre, de réaliser en masse des perles simples. Des emplacements pour différentes couleurs de verres sont reservés sur la sole. Cela permet de réaliser des perles aux motifs complexes.

La montée en température est d’environ 3 heures, la consommation d’un tel four pour une journée est d’environ 1/2 stère de bois (300 kg environ). Il permet, à trois perliers de travailler simultanément. En Turquie, jusqu’à 5 perliers travaillent en même temps dans des fours qui consomment entre 150 kg et 300 kg de bois par jour.

On peut réaliser assez aisément certaines très grosses perles de la fin de l’âge-du-fer (Corrent, Marseille, Bibracte). Ces perles sont en revanche très compliquées à fabriquer dans un four à charbon.

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Une autre hypothèse de four à bois, plus petit à été proposé par Joelle Rolland, Stephane Rivoal et Joel Clesse, inspiré des fours népalais.

On peut également citer les four des perliers de Mauritanie, à bois, sans dôme et attisés par des soufflets.

En guise de synthèse :

A l’heure actuelle seules les fouilles de Ribe ont mis au jour un atelier complet de perles de verre avec des outils, des perles rejettées en cours de fabrication en raison d’un défaut, de nombreux décors, des restes de charbons,  des structures en place…

Les ateliers de perliers de l’Âge du Bronze et de l’Âge du Fer ne sont pas connus en Gaule. Quelques traces de perles ratées, et de matières premières ici et là, laissent envisager la présence d’ateliers, sans fournir beaucoup plus d’informations : c’est le cas en Corse ou à Bibracte.

Selon les perles réalisées, les traces qu’elles présentent, on peut déterminer  dans quel type de four elles on été réalisées ( four à charbon ou four à bois à double chambre).

Pour la période gallo-romaine, à partir du Ier s. ap J.C.(diffusion du verre soufflé), et pour le début du Moyen-Age, de nombreux ateliers de souffleurs de verre  ont été mis au jour par les archéologues.

Il est possible que des perles aient été réalisées dans ces ateliers, même si très peu de parures ont été retrouvées sur ces sites. Il est également probable que des ateliers de perliers autonomes, dont on ne possède pas (encore) de traces archéologiques aient continuer d’exister.

 

Pour plus d’info, un commentaire, un complément d’information, n’hésitez pas à me contacter : contact@ateliercobalt.com